Extrait de "La grammaire est une chanson douce" de Erik Orsenna :
À vrai dire, c'étaient de drôles de mariages.
[…] L'article entrait par une porte,
l'adjectif par une autre. Le nom arrivait le dernier. Ils disparaissaient tous
les trois. Le toit de la mairie me les cachait. J'aurais tout donné pour
assister à la cérémonie. J'imagine que le maire devait leur rappeler leurs
droits et leurs devoirs, qu'ils étaient désormais unis pour le meilleur et pour
le pire. Ils ressortaient ensemble se tenant par la main, accordés, tout
masculin ou tout féminin : le château enchanté, la maison hantée... Peut-être
qu'à l'intérieur le maire avait installé un distributeur automatique, les
adjectifs s'y ravitaillaient en « e » final pour se marier avec un nom féminin.
Rien de plus docile et souple que le sexe d'un adjectif. Il change à volonté,
il s'adapte au client. Certains, bien sûr, dans cette tribu des adjectifs,
étaient moins disciplinés. Pas question de se modifier.
Dès leur naissance, ils
avaient tout prévu en se terminant par «e». Ceux-là se rendaient à la cérémonie
les mains dans les poches. «Magique», par exemple. Ce petit mot malin avait
préparé son coup. Je l'ai vu entrer deux fois à la mairie, la première avec
«ardoise», la seconde avec «musicien». Une ardoise magique (tout féminin). Un
musicien magique (tout masculin). «Magique» est ressorti fièrement. Accordé
dans les règles mais sans rien changer. Il s'est tourné vers le sommet de ma
colline. J'ai l'impression qu'il m'a fait un clin d'œil : tu vois, Jeanne, je
n'ai pas cédé, on peut être adjectif et conserver son identité. Charmants
adjectifs, indispensables adjoints ! Comme ils seraient mornes, les noms, sans
les cadeaux que leur font les adjectifs, le piment qu'ils apportent, la
couleur, les détails... Et pourtant, comme ils sont maltraités ! Je vais vous
dire un secret : les adjectifs ont l'âme sentimentale. Ils croient que leur
mariage durera
toujours...
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Les fiancés non accordés devant la mairie

Les accordés sortent de la mairie

Les distributeurs de lettres et les poubelles à l'intérieur de la mairie
| Texte des enfants :
C'est dans la mairie de la ville des mots
que le déterminant, le nom, et l'adjectif s'accordent. La façade de la mairie
est munie de trois portes : la porte "déterminant", la porte
"nom" et la porte "adjectif". Le nom (accompagne de son déterminant)
est allé acheter un adjectif avant de passer à la mairie pour s'accorder. Le déterminant
passe par la porte "déterminant", le nom par la porte "nom" et
l'adjectif par la porte "adjectif". L'adjectif prend une lettre comme
"e, s x" et se l'attache après sa dernière lettre. En effet, la
mairie est équipée de plusieurs distributeurs automatiques. Un distributeur de e pour les groupes
nominaux au féminin et deux distributeurs , un de "s" et un de
"x" pour les groupes nominaux au pluriel. Il y a aussi un
distributeur "autres lettres" pour les adjectifs qui ont une lettre qui
change lorsqu’ils s’accordent comme l’adjectif "veuf" qui devient
"veuve" au féminin par exemple. Le groupe nominal sort par la porte
de derrière, il est enfin accorde!
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